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La fuite du temps donne-t-elle un sens à l'existence?

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    Isabelle
  • il y a 4 jours
  • 8 min de lecture

 

Avoir conscience du temps qui passe, c’est aussi avoir conscience de la tragique condition humaine, la mort inéluctable. On peut donc se demander en quoi la conscience du temps qui passe a une incidence sur le sens de l’existence. Toute existence s’inscrit dans la temporalité avec un début et une fin. C’est parce que la mort est notre horizon commun que l’existence devient pour l’homme un problème. L’avenir, certes, n’existe pas encore, mais il suscite chez l’homme une idée de crainte. Mais si l’homme a conscience de cet écoulement inéluctable du temps et de cette fin tragique, n’est- ce pas de cette manière qu’il peut la mener avec passion ? Ainsi, connaître sa destinée, sa fin, est-il un objet de crainte ou est-ce l’occasion de vivre autrement, voire pleinement son existence ?

 

La fuite du temps donne-t-elle un sens à l'existence? Est-elle source d’angoisse ou moteur de sens ?

Certes, le temps s’écoule de façon inéluctable mais n’est-ce pas précisément cette fuite qui donne à l’existence sa densité, sa valeur, sa quintessence ?

 

I. Mener son existence avec passion

Le temps, intimement lié au sentiment de notre existence, échappe presque à toute définition. Pascal dit « qu’il est impossible et inutile de le définir. »

Cependant, si l’on cherche non plus à définir le temps, mais à énoncer son principal caractère, c’est son ordre qui s’impose à l’attention, et plus précisément l’irréversibilité de cet ordre.

De nombreux mythes et des fictions ont tenté de jouer avec le temps ou de le « déjouer ». Mythes de résurrection, de réincarnation, de renouveau total, d’éternel retour, de vie dans un autre monde... Fictions, plus ou moins scientifiques, de voyage dans le temps, etc. Ces visions du temps où tout est rendu possible par l’imaginaire constituent les thèmes les plus riches de la littérature de fiction. Ainsi, l’ordre irréversible du temps est ressenti selon les trois modalités du passé, du présent, de l’avenir. Mais c’est au sein du présent que se dessinent sans cesse ces trois mouvements de conscience : l’attention à l’existence actuelle, le retour en pensée vers ce qui fut et n’est plus, la projection vers ce qui va se produire.

Dans la littérature, le refus de l’irréversible-irrémédiable, la négation de la mort, l’immortalité est sans conteste un thème récurrent. Et notre pensée du temps ne peut concevoir de limite sans se demander ce qu’il y a de l’autre côté. Les anciens (notamment les stoïciens) concevaient bien une fin du monde, mais ensuite ? Ensuite, tout devait recommencer.

Du reste, n’est-il pas sage de ne pas fuir le présent, mais de s’attacher à bien vivre l’instant présent ?

La même demande porte sur notre vie subjective, que nous imaginons se continuer après la mort sous une autre forme. L’éternité prise en ce sens peut être appelée perpétuité ou pérennité. Les textes religieux indiquent clairement cette équivalence : « Requiem aeternam donna eis Dominée et lux perpetua luceat eis », phrase tirée du texte latin de la messe des morts ou messe de Requiem qui signifie « Seigneur, donne-leur le repos éternel et que la lumière perpétuelle luise pour eux. »

 

II. L'existence comme angoisse et crainte ?

Réfléchir à la notion du temps, c’est donc réfléchir sur l’existence elle-même. Le temps est le tissu dont cette existence est faite. Mais n’est-ce pas justement parce que l’existence est inscrite dans un court moment dans le temps que celle-ci devient angoisse et crainte ?

L’avenir peut être un objet de crainte évident. L’homme se projette vers l’avenir, objet nécessaire d’une appréhension. L’attitude de notre conscience vis-à-vis de l’avenir est celle de l’attente, marquée par des incertitudes inquiétantes. C’est un fait que notre avenir est incertain. Nous tendons nécessairement notre esprit vers les dangers possibles liés aux incertitudes et à la temporalité. Par conséquent, nous sommes amenés à saisir l’avenir comme objet de crainte et d’appréhension. Je peux craindre le temps comme avenir car il me révèle mes impuissances et mes limites. Ainsi l’avenir suscite la crainte car il peut contenir l’incertitude et le danger, mais aussi parce qu’il est lié à la seule certitude que je possède : la certitude du néant, la certitude de la mort. Ce que promet, à coup sûr, l’avenir, c’est la mort car l’avenir contient ma fin et chaque minute du temps me conduit vers cette fin. Toute pensée de l’avenir anticipe cette mort et se tourne vers elle. La mort est présente à l’horizon de tous nos projets. L’homme trouve épouvantable de mourir car il s’est construit tout un monde qui lui paraît irremplaçable. Dans notre société, où l’individu est vu comme un être unique, la peur de mourir est plus grande que dans les sociétés où le groupe à une valeur prépondérante. Il est donc certain que plus la conscience de soi s’affirme, plus la peur de la mort est importante.

De nombreuses critiques ont été adressées à Sartre pour sa philosophie de l’existentialisme lors de la sortie de L’Être et le Néant. En effet, à l’époque, l’existentialisme athée est perçu comme une philosophie du désespoir. Elle a pour point de départ une vision pessimiste de la condition humaine. Sartre nie l’existence de tout ce qui pourrait donner un sens supérieur à l’existence humaine. « Il n’y a pas de nature humaine, puisqu’il n’y a pas de Dieu pour la concevoir. » Selon lui, il n’y a pas de « nature humaine », pas de destin, etc. L’homme ainsi confronté au néant et livré à lui-même, ne peut que ressentir de l’angoisse. La philosophie existentialiste souligne la condition misérable de l’homme, tout en lui refusant la consolation de la religion ou des grands idéaux. Pour Sartre, la vérité première de l’existence humaine, c’est le sentiment de solitude et d’isolement. L’homme se sent étranger au monde et incapable d’atteindre les autres. La possibilité de trouver un sens à la vie dans la communauté humaine se trouve ainsi également niée, puisque l’homme est fondamentalement seul.

La conscience du temps qui passe peut engendrer une certaine forme d’angoisse, mais aussi une forme de liberté. Si tout est contingent, dépendant du hasard, alors tout est possible. La finitude devient la possibilité de vivre une vie choisie plutôt que subie.

III. Exister, n’est-ce pas avant tout choisir et donc une source de liberté?

C’est parce que l’existence est indissociable de l’idée de la mort qu’elle devient un problème. Mais certains philosophes ont insisté sur le fait que l’existence humaine est avant tout une liberté. Exister, n’est-ce pas avant tout choisir ?

L’avenir ne doit pas, du point de vue du choix éthique ou moral, être objet de crainte, car la crainte est une tristesse liée à mon impuissance. Dès lors, à cette crainte sans vie et sans joie, opposons un avenir lié aux possibles, à la liberté, au projet, et non plus en connexion avec la mort. Cet avenir ne doit pas être objet d’appréhension. Si l’avenir se trouve en liaison avec la mort, s’il se rapproche d’un principe de dégradation et de chute, il est aussi ce par quoi l’homme se réalise et se fait : l’avenir est incontestablement lié au projet ? Il est la source de ma liberté et de ma puissance. Mettre l’accent sur la dimension de l’avenir, c’est souligner que la conscience humaine est projet et liberté. C’est dévoiler les possibles, l’action, l’entreprise humaine. L’avenir, c’est un monde de possibles. Il symbolise ma liberté et je n’ai pas de raison de le craindre.

Par conséquent, il incombe à chacun la tâche de penser son existence ici et maintenant. Aucun système philosophique ou religieux ne peut m’éviter d’avoir à assumer la responsabilité de mon existence. Afin de répondre à ses nombreux détracteurs, Sartre tient une conférence dont le thème est « L’existentialisme est un humanisme ». Il soutient que c’est sur cette responsabilité que l’existentialisme met l’accent. On peut le comprendre à partir de cette formule « l’existence précède l’essence.» Dire que l’existence précède l’essence, c’est dire que l'homme existe d'abord et se définit ensuite par ses actions et choix. L'idée que « l’existence précède l’essence » suggère que l'être humain n'a pas une nature prédéfinie ou une essence fixe. Au contraire, chaque individu existe d'abord dans le monde, puis définit son essence à travers ses choix et ses actions. Cela implique que l'homme est responsable de ce qu'il devient, car il n'est pas déterminé par une essence universelle ou divine.

Existant toujours en avant de lui-même, on ne peut dire de lui simplement qu’il est, mais qu’il ex-siste (de ex, « dehors », et sistere, « se tenir »). Ainsi est-il, avant tout, ce qu’il se fait. Nul ne peut se démettre de cette liberté fondamentale.

Camus voit dans le mythe de Sisyphe – ce personnage de la mythologie grecque condamné, par châtiment divin, à rouler un gros rocher jusqu’au sommet d’une montagne sans jamais y arriver - une illustration de la condition humaine. Comme Sisyphe, nous passons notre existence à répéter des gestes absurdes parce que notre vie n’a pas de sens. Camus s’interdit toutefois de sombrer dans le désespoir. Il pense qu’il faut se révolter contre le désespoir, ne pas sombrer dans le renoncement, vivre en dépit de tout. Nous devons agir héroïquement, regarder le non-sens en face et vivre notre vie avec lucidité, comme Sisyphe roule son rocher interminablement. Cette prise de conscience transforme un simple instant en un trésor fragile, un trésor précieux nous incitant à vivre avec intensité plutôt qu’à « glisser » dans la routine.

Dès que l’on a pris conscience que le monde reste incertain, il faut vivre avec passion, vivre le plus possible, avec intensité, multiplier les expériences et savourer les beautés de ce monde...

 

 

Carpe diem / Cueille le jour

Les poètes latins comme Horace nous invitent à cueillir le jour - carpe diem - à profiter pleinement de chaque instant car le temps s’écoule inéluctablement. La fuite du temps pousse à savourer l’instant, à vivre avec passion, à ne pas remettre à demain ce qui peut être vécu aujourd’hui.

(Horace : Poète latin né en Italie au 1er siècle avant Jésus-Christ, Horace a fortement influencé le développement de la littérature latine, notamment à travers ses poèmes lyriques tels que "Les Odes")

 

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Henry David Thoreau

 

-   Henry David Thoreau : philosophe, naturaliste et poète américain, né le 12 juillet 1817 à Concord (Massachusetts), où il est mort le 6 mai 1862. Son œuvre majeure, Walden ou la Vie dans les bois, est une réflexion sur l'économie, la nature, le matérialisme et la vie …)

 

 

Conclusion

Chercher ou donner un sens à sa vie suppose que l’homme soit capable de se rapporter à des fins, proches ou lointaines, et par conséquent qu’il soit ouvert à la dimension temporelle de l’avenir. Si l’avenir est lié à la certitude de ma mort, il est aussi une autre face de notre liberté et de notre pouvoir, sources de nombreuses possibilités. Il ne fait qu’un avec le projet par lequel je me transcende vers l’avenir. C’est par l’homme qu’un sens peut venir au monde, par ses projets, ses choix et ses actes. Pour Heidegger (Être et Temps), la présence de la mort pourrait même apparaître comme l’essence du bonheur : avoir conscience de la mort permet de vivre chaque instant avec plus d’intensité. La présence de la mort donne un sens à l’existence, et d’un certain côté donnerait ainsi la possibilité du bonheur. Être conscient du temps qui passe, c’est donc être conscient de sa propre finitude, de notre propre devenir. C’est parce que le temps s’échappe que nous cherchons à le remplir, à le marquer, à le vivre pleinement. Notre conscience de la mort à venir transforme ainsi chaque instant en quelque chose de précieux. L’existence devient alors une merveilleuse aventure à vivre intensément.

Le caractère inéluctable du temps pousse à donner vie à nos rêves, à nos projets sans attendre. Ainsi, l’art, la littérature naissent souvent de ce désir intense : peindre, écrire ou composer devient un défi lancé à l’oubli, les mots et les œuvres d’arts deviennent un moyen magique de rester immortel. Les poètes tentent ainsi de figer le temps dans les mots. Le poème devient mémoire, trace, défi lancé à l’oubli. Finalement, les grandes œuvres sont autant de tentatives pour capturer un fragment de l’écoulement du temps.

 

 

 

 

 

 

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